Afshin Ellian a son mot à dire sur le terrorisme.
Il a également son mot à dire sur l'islam – notamment l'islam politique – alors que beaucoup n'aiment pas tellement en entendre parler. En fait, les menaces contre sa vie proférées par des musulmans radicaux, notamment aux Pays-Bas où vit à présent le dissident iranien, sont devenues si fréquentes qu'il se fait accompagner d'un moins un garde du corps partout où il va.
Néanmoins, Ellian, professeur de droit à l'Université de Leyde, a également son mot à dire sur la liberté : il a passé sa vie à la chercher, surtout depuis 1978, période où, alors étudiant, il a pris part en Iran au soulèvement contre le chah. Après la Révolution, l'ayatollah a banni tout discours politique. Menacé d'être exécuté, Ellian a fui le pays. Il s'est brièvement installé à Kaboul avant que d'autres conflits idéologiques le contraignent à fuir de nouveau pour finalement se retrouver en 1989 aux Pays-Bas comme réfugié politique.
Aujourd'hui, en tant qu'expert en droits de l'homme et en contre-terrorisme, il travaille courageusement à la préservation de cette liberté pour laquelle il a combattu si longtemps – et alors qu'il voit que la facette la plus précieuse de cette liberté est à présent menacée, à savoir la liberté d'expression.
C'est ce qui l'a amené à se rendre récemment à la Nieuwspoort, un centre de débats pour journalistes et responsables politiques à La Haye, ville connue, ce n'est pas un hasard, comme « la cité internationale de la Justice et de la Paix ». L'occasion en était la parution de son dernier livre, intitulé tout simplement et très à-propos Freedom of Speech Under Attack (« La liberté d'expression attaquée »).
En cette période de l'après Charlie Hebdo, il s'agit d'un livre révélateur de notre époque.
S'exprimant devant un parterre de journalistes et son invité d'honneur, Flemming Rose, éditeur du Jyllands Posten et des célèbres « caricatures danoises de Mahomet » qui vit également sous protection policière, Ellian ne se laisse pas du tout impressionner par les menaces et les attaques contre sa propre liberté. Au contraire, il dit tout haut ce que beaucoup préféreraient que l'on taise complètement : l'Europe doit se défendre contre l'islam radical en utilisant son atout majeur, un atout plus fort que les armes et que l'argent, à savoir la préservation de la liberté d'expression.
Pourtant, nous dit Ellian, on assiste dans le même temps à l'abus, dans le chef de djihadistes, du principe même de liberté d'expression dans le but de détruire les démocraties qui sont à l'origine de ce principe. Les recruteurs du djihad, ceux qui menacent les apostats et les juifs et qui appellent à la violence contre l'Occident s'appuient précisément sur le principe de la liberté d'expression pour répandre leurs messages de haine. Par conséquent, dit-il, « la démocratie en tant que type de société doit être conçue en tant que système militant. Quand la démocratie est menacée par la violence, elle a le droit de se défendre par la violence. L'option contraire serait un suicide. » Or, pour reprendre ses termes, la liberté « n'est pas un pacte suicidaire ».
La confrontation personnelle d'Ellian avec l'islam radical en Europe remonte à l'année 2000, lorsqu'un article qu'il avait écrit contre les injonctions données par le prophète Mahomet de détruire les poètes, lui a valu des menaces de mort (en plus d'être diplômé universitaire en philosophie et en droit, Ellian est également un poète reconnu). D'autres menaces ont suivi, principalement après le meurtre de Theo Van Gogh en novembre 2004 par l'extrémiste musulman Mohammed Bouyeri. Immédiatement après le meurtre, Ellian a appelé d'autres intellectuels occidentaux à « mettre l'islam radical sur la table d'opération » et de riposter à la censure du politiquement correct car, comme il le dit désormais, « quand une société applique l'autocensure par crainte du terrorisme, c'est la liberté qui s'évanouit ».
Pourtant, quelques jours après la présentation du nouveau livre d'Ellian, six membres de PEN America, la prestigieuse organisation pour auteurs et écrivains qui se définit elle-même comme le leader dans la défense de la liberté d'expression, ont appelé au boycott de l'association quand celle-ci a décidé d'honorer le magazine Charlie Hebdo du prix Courage et liberté d'expression. Quand j'ai informé Ellian de cette nouvelle, il a failli s'étrangler de rage à l'autre bout du fil.
« Quand on commence à dire qu'il ne faut pas faire de caricatures, on peut également dire qu'il ne faut pas écrire de romans », fulminait-il. « Après tout, qu'ont fait les juifs ? Pourquoi sont-ce eux qui sont tués ? Les écrivains diraient-ils qu'ils n'auraient pas dû être juifs ? Un écrivain qui ne peut tolérer un tel prix n'est pas digne d'être appelé écrivain. »
En effet, c'est précisément dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, dit Ellian, que le débat sur la liberté d'expression devient le plus crucial et dans lequel les écrivains et les intellectuels devraient parler le plus fort.
« En Occident, nous avons la possibilité de discuter, dit-il, la capacité de parler de morale et de religion. Nous ne pouvons pas prendre pour modèle le monde musulman. Ce dernier a, au contraire, besoin de plus de liberté alors que nous n'avons pas besoin de moins de liberté. »
Après tout, c'est simplement cette intolérance naturelle au débat qui a conduit aux attentats contre Charlie Hebdo, et aux menaces contre des personnes comme Salman Rushdie, Flemming Rose, Ayaan Hirsi Ali (qui, ce n'est pas un hasard, fut l'élève d'Ellian à Leyde) et, bien entendu, Ellian lui-même.
Ceci ne veut pas dire que la liberté d'expression n'a pas de limite, prévient Ellian, et c'est justement le thème qu'il entreprend d'analyser dans son livre : quelles sont les limites à la liberté d'expression, non seulement pour les philosophes et les romanciers mais aussi pour les djihadistes ? Que peuvent-ils dire et que ne peuvent-ils pas dire ? Les discours incitant à la haine et à la discrimination doivent-ils être pénalisés ? Et qu'en est-il du blasphème ou encore de la diffusion, notamment sur internet, de l'antisémitisme et des campagnes de recrutement pour le djihad ?
« Pour moi, selon Ellian, la limite intervient au moment où on appelle à la violence. Mais pas comme en France, où ils ont criminalisé "l'apologie du terrorisme". Selon moi, cela va trop loin. » Récemment, il a introduit une plainte au civil contre Shabir Burhani, alias Maiwand Al Afghani, un ancien porte-parole de Sharia4Belgium, pour menaces et promotion de la violence (Burhani qui, alors étudiant à l'Université de Leyde, était également accusé d'avoir directement menacé Ellian en 2013, a nié les accusations).
Finalement tout cela revient à un principe de base très simple : la liberté ne peut être utilisée dans le but de limiter la liberté, ce qui reviendrait, selon l'idée d'Ellian, à une forme de suicide. Mais face à l'islam politique et au terrorisme islamiste, cette idée ne peut pas non plus constituer un absolu. « Car elle est la cible privilégiée du terrorisme qui veut nous ramener 1500 ans en arrière. Ils veulent que nous arrêtions d'écrire. Or, si on nous dit qu'on ne peut pas parler d'islam et qu'on doit garder le silence, alors le terrorisme aura gagné. »
Abigail R. Esman, est rédactrice indépendante et vit à New York et aux Pays-Bas. Elle est l'auteur de l'ouvrage Radical State : How Jihad is Winning Over Democracy in the West [L'État radical ou comment le djihad est en train de vaincre la démocratie occidentale] publié chez Praeger en 2010.